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Après «Daniel, je sais pourquoi» et «Dans l’ombre du Corridor», un témoignage de l’au-delà de l’esprit d’une jeune fille venue nous raconter sa vie, sa mort et son existence en dehors de notre dimension. C’est un voyage dans la matière, celle qui nous survit et qui rend toutes les choses intimement liées. Après l’étonnement de sa nouvelle situation, elle découvre la subtilité de la vie, face à son donneur d’organe et son propre guide. Née avec une malformation cardiaque, elle meurt avec le cœur d’un autre…
Couverture : Maud Chalmel
Dimanche 9 aout 1998
Cher journal,
Je n’ai jamais vu ma mère heureuse. Encore aujourd’hui, je l’ai surprise en train de pleurer toute seule dans sa chambre. On dirait moi…pourtant je ne me plains pas !
La vie est belle, mais depuis toute petite je ne cours et ne joue pas normalement. Ma mère s’inquiète. Peut-être parce que je n’ai pas de petit ami…
Je ne suis pas très belle, mais on me dit que j’ai du charme. Les garçons ne s’intéressent pas à moi, car je suis trop maigre. J’ai les cheveux longs, mais je n’ai pas de poitrine. Mon père dit que je ressemble à mamie, oh ! je ne suis pas une vieille !
Demain, je dois aller faire d’autres examens, les professeurs disent qu’un jour je devrai me faire opérer. Peut-être que j’aurai moins de vertiges et que je pourrai courir avec mes copines. J’en ai que deux, mais elles sont rigolotes, elles m’aiment bien et l’on passe de bons moments. J’aimerais quelquefois être comme tout le monde. Mais ma mère me dit qu’on est tous différents et que le monde n’est pas juste.
Ma mère est toujours inquiète pour moi depuis que j’ai eu mes règles. Elle me dit que je suis une femme et que c’est beau ! Pourtant je vois bien qu’elle a du chagrin et qu’elle cherche à me faire plaisir…
Ce matin, on a ouvert le vieux carton à photographies. Je me suis vu tout bébé. Mes parents étaient heureux. La photo de mes 6 ans est moins drôle, je commençais à m’essouffler. La tête de ma mère en dit long ! Depuis, les photos ne me montrent que quand je souris, ma mère ne garde que les meilleures. Elle veut me voir heureuse…
C’est grave ce que j’ai. Très souvent, j’ai pensé que j’étais la cause du malheur de mes parents, pas ma maladie…
Ils se sont concentrés sur moi et n’ont pas eu d’autres enfants. Mais c’est mieux comme ça, car je n’aurais pas supporté une petite sœur. Ma chambre, c’est mon univers et mes appareils respiratoires ont leur place. À l’école on m’a bien acceptée, mais c’est dur.
Oh ! il est l’heure de dormir, la lumière de la chambre de mes parents est restée allumée. J’aime bien m’endormir en la regardant briller là, en dessous de la porte. Cela me rassure…
10 janvier 2000
Cher journal,
C’est bientôt mon anniversaire. On est dans le bug de l’an 2000. C’est drôle de voir les gens s’affoler pour si peu…
Ma croissance ne se passe pas bien. Les avis médicaux sont aujourd’hui arrêtés. Je dois me faire changer le cœur ! Il faut dire que celui-ci est mal formé, il ne grandit plus…J’ai du mal à respirer et de plus en plus. La vie est souvent pénible. Je dois passer beaucoup de temps à l’hôpital. J’y ai rencontré un garçon charmant, il est malade aussi. Il a peur…
J’ai vu ma cousine hier, elle était venue pour voir mon père. Mes parents ont fait bonne figure au jour de l’an. Heureusement qu’il y avait mes amis, l’ambiance était lourde.
Bientôt, je vais quitter mon école, je n’irai pas jusqu’au bout de l’année. Je dois être toujours en alerte. En fait, on a signé les papiers pour le cœur que je dois avoir. L’idée me fait un peu peur aussi. Mais voir comme je suis aujourd’hui, je ne pourrais pas être plus mal…
Mon père s’est habitué à la situation. Il a même envie que cela aille très vite. Il pense que je vais revivre avec un cœur tout neuf. Mais c’est grave d’attendre qu’un jeune meurt pour lui prendre son cœur ! Ma mère est souvent muette, absente. Cela fait longtemps que ça dure. Je crois qu’elle est déprimée, surtout la nuit, car j’ai du mal à respirer. Elle ne dort plus. Elle a quitté son travail, comme ça elle dort la journée. J’aurais des cours à la maison pour ne pas perdre mes études. Ça va que mon père gagne bien sa vie.
Je commence à m’habituer à ma vie. Je dis ça, car j’ai peur de mourir même si je suis handicapée. J’aime bien écrire, regarder la télévision et me promener dans la forêt quand je peux. Je veux juste sentir mon cœur battre normalement. Mes gestes me font souffrir, j’ai du mal à reprendre mon souffle.
Bon, je dois aller manger. Ce soir, on a des invités, ça va nous changer un peu.
Mars 2003
C’est à ce moment-là que j’arrêtais d’écrire mon journal. J’ai dû m’y contraindre…
Le jour approchait, un moment tout autant captivant qu’effrayant. Je ne savais pas où j’allais ni qui j’allais rencontrer. Je connaissais bien sûr les professeurs qui s’occupaient de moi, mais j’appréhendais de croiser au détour d’un couloir le regard des parents de celui ou celle qui allait peut-être me sauver la vie. On me rassurait en me certifiant que c’était impossible, mais j’avais peur, je n’aurais pas supporté de croiser ces gens certainement en peine et remplis de colère aussi.
Sans réellement comprendre pourquoi ni comment, je savais que je vivais là des instants importants. Les secousses de l’ambulance qui m’emmenait à mon rendez-vous, les hurlements du conducteur manifestement très énervé par les embouteillages, la chaleur d’un mois de mai, étaient les teneurs d’un préambule qui allait avoir raison de moi.
Je me présente, Stéphanie, je suis bien morte et vous raconte comment j’ai découvert l’autre vie…
II
Arrivée à l’hôpital, tout était préparé. En fait, je ne me rendais pas bien compte de ce qui se passait, appréhendant l’hypothétique et malheureuse rencontre. Mais je n’eus même pas le temps de serrer la main de mes parents.
Je les voyais inquiets, nerveux, poussant mon brancard. Entre temps, ils arrivaient à me passer une blouse et une charlotte avec une dextérité remarquable. Je me laissais aller au rythme de cette fébrile déambulation, le regard hagard, captivé par les néons du plafond. Sortes de pointillés lumineux que je m’amusais à compter presque malgré moi…
Je leur répondais d’un hochement de la tête. Nous arrivions dans un immense ascenseur, assombrissant, créant du coup une ambiance caverneuse. Le bruit des chaines du mécanisme donnait au moment un aspect angoissant. La porte s’ouvrit très vite après un terrible tremblement. Je me retrouvais dans la salle d’opération à côté d’une autre personne déjà allongée.
Mais comment le savoir ! J’appelais ma mère, on me répondait que mes parents m’attendaient et que tout irait bien. Alors on me plaçait toutes sortes de tuyaux et m’administrait un calmant.
C’est les yeux rivés sur son visage que je découvrais l’autre parcelle de mon existence, mais je ne le savais pas encore…De suite et sans attendre, ma conscience se réveillait, j’étais dans une chambre et j’avais un nouveau cœur.
Oui, mais…
Je ne pouvais bouger, mon regard était encore embué. Je n’avais pas encore recouvré tous mes sens. Je roulais les yeux de gauche à droite pour tenter de percevoir les détails de ma chambre. Soudain, l’audition me revenait, un bip répétitif me rappelait à la vie…les machines qui assistaient mon pauvre corps émettaient des sons discontinus en faisant un écho dans le silence de cette pièce haut en plafond.
J’étais seule, ne parvenant pas à bouger ni à parler. J’entendais dans le couloir des pas furtifs, accompagnant ces ombres sur le carreau cathédral de ma porte. J’espérais voir mes parents, oui, ma pauvre mère perdue certainement dans son chagrin et son immense inquiétude. Je recouvrais peu à peu mes sens et les souvenirs qui expliquaient la situation. Je me réveillais d’une lourde opération.
Une infirmière pénétra soudain dans ma chambre. Elle ne semblait pas, a priori, faire attention à moi. J’écarquillais les yeux pour attirer son attention. Rien n’y faisait, elle préparait son affaire là dans le coin de la pièce. Je la voyais à peine. Puis elle s’approchait de moi et se penchait sur mon visage. J’esquissais un sourire, espérant croiser son regard. Mais elle ne semblait pas me voir et continuait sa besogne sans prendre conscience ou voir mon état. Je me sentais vaciller. Elle s’écartait de moi et quittait la chambre. Le silence reprenait son règne.
Elle ne m’avait pas vue, elle n’avait pas pris la peine de me parler, de me rassurer !
La journée était interminable, la lumière du jour diminuait. Celles de la ville éclairaient ma fenêtre. Je percevais le ciel, s’assombrissant dans une couleur rougeoyante. Les bruits du couloir diminuaient aussi, l’hôpital s’endormait ! Je ne percevais plus grand-chose si ce n’était les bips infernaux des machines médicales. Je faisais des efforts pour ouvrir la bouche ou bouger les bras. Mais impossible d’émettre un son ou de bouger ne fusse qu’un doigt.
Pourquoi l’infirmière ne m’avait pas souri ou bien parlée ?
Une forte lueur éclaira la pièce. Entra dans la chambre un docteur, accompagné par plusieurs personnes, toutes habillées de blouses blanches. Enfin, pensais-je, ils ont compris. Aux pieds de mon lit, ils parlaient de moi, de ma transplantation et de mon coma…
Mon coma…la surprise fut douloureuse, un choc qui eut pour effet de troubler ma vision. Je perdis à nouveau la maitrise des choses et fut coupée de la réalité. Je dus faire un ultime effort de volonté pour retrouver mon esprit. Ma vision revenait alors. C’est ainsi que je me perçus allongée et les yeux fermés !
Les docteurs étaient partis, la lumière de ma chambre éteinte. Comment était-ce possible, vivais-je un effet de mon imagination, ou avait-on placé au plafond un miroir, je ne le savais pas. Pourtant je contemplais à loisir ma personne, et ce depuis le plafond…
C’était très étrange, la chambre semblait tamisée par une lueur bleutée, peut-être les éclairages de la rue, je ne le savais pas. Très vite les choses se rétablissaient et l’endroit reprenait sa place. J’étais tout de même enfermée dans mon propre corps, comprenant et bien malgré moi, que je ne m’étais pas encore réveillée de mon opération. La conscience que j’avais des choses ne s’expliquait pas. Je restais sans réaction, attendant que le temps fasse son œuvre.
Je devais me reposer. Mais pouvais-je dormir ? Je n’arrivais même pas à fermer les yeux ! Je pouvais sentir l’air entrer dans mes poumons, rythmée par les bruits du respirateur. Dans l’attente, je me mettais à compter les « tocs » que faisait la valve. Quelquefois ce bruit entrait en cadence avec les « bips » des machines…
Je passais le temps, distraite aussi par les lumières des voitures, circulant tout près d’ici. Ma nouvelle existence commençait bien mal, j’étais dans le coma, une situation tout autant inédite qu’imprévue.
Oui, peut-être, me rassurais-je, mais j’étais là et peut-être aussi que je ne faisais que dormir encore allongée sur la table d’opération, un mauvais rêve quoi !
Je pensais à ma maison, à mes parents, mes amis. J’espérais tant vivre normalement…oh, papa et maman, où êtes-vous ? Et ce cœur que l’on m’a greffé, fonctionne-t-il normalement et qui a bien pu me le donner ? Moi, je suis entre la vie et la mort, mais la personne à qui il appartenait est bel et bien morte !
Soudain, je vis du coin de l’œil passer une ombre. J’essayais de distinguer mes alentours. Au petit matin, la lumière du jour éclairait les parties sombres de ma chambre. Je voulais appeler, piètre réflexe, car seules mes pensées s’émancipaient dans mon esprit.
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